contribution :
Ahmadou Lamine TOURE
Economiste, Conseiller des Affaires étrangères
Notre monde, moderne et civilisé, ne peut pas s’accommoder d’abjections aussi rétrogrades que le racisme. D’autant qu’il panse toujours les plaies de son passé humainement dévastateur … Pour combien de temps encore allons-nous détourner notre regard devant notre unicité, notre indivisibilité, par-delà nos croyances religieuses, nos appartenances territoriales, nos couleurs de peau ? Pourtant, s’il est un sens ou même un charme à relever de cette pandémie de Covid-19, c’est bien son caractère non discriminatoire. Elle nous met tous au pas. Sur un ton égalitaire. Riche, pauvre, noir, blanc, jaune, juif, chrétien, musulman, athée… Nous devons en retenir notre irréversible égalité en dépit de toutes nos particularités. Une égalité sacrée et heureuse, hélas continuellement bafouée, souillée, abimée. Une égalité prometteuse et lumineuse que d’aucuns, dans tous les continents, s’obstinent à renier et fouler au pied.
Le meurtre raciste de Georges Floyd, un afro-américain, à Minneapolis (USA), est digne des temps médiévaux. Il traduit un rétropédalage de l’humanité dans son passé peu glorieux ; celui des maîtres et des esclaves ; celui des hommes et des sous-hommes ; le passé de la loi du plus fort et du droit aux abonnés absents. Il nous distrait, nous effraie et nous divise en pleine guerre collective qui nous occupe depuis des mois contre un virus, dévore nos énergies et use nos moyens mutualisés dans un front uni et unique de nos gouvernants que l’on espère à jamais bâti et acquis pour toutes les batailles futures en vue de l’avenir commun d’une humanité une et indivisible. Le racisme, sous toutes ses formes, ne doit point prospérer dans nos sociétés ! S’il naît d’un quelconque esprit de supériorité sur fond de racialisme hiérarchisant, alors ce tout petit virus invisible à l’œil nu fournit à suffisance la preuve, s’il en est, que nous nous valons tous. S’il émane d’un réflexe de rejet d’un peuple vis-à-vis d’un autre, d’une communauté à l’encontre d’une autre, d’une religion envers une autre, d’une race à l’endroit d’une autre, cette pandémie démontre que nos destinées sont interconnectées, mutuellement dépendantes, dans la parfaite neutralité du fait géographique. Ne nous y trompons pas : le racisme est un cancer qui métastase en chacun de nous, au-delà de ses victimes principales. Floyd en a certes perdu la vie. Mais chaque fois que la commission d’actes de cette laideur inouïe effleure un esprit, trouve un prosélyte exécutant, nous en perdons aussi des années de vie, celles passées à nous civiliser, nous socialiser, nous humaniser pour confiner dans le lointain passé les barbaries de notre histoire commune. Nous en perdons la maîtrise du sens même de notre propre existence…
Il faut donc, à nouveau, à la lumière-sombre de l’affaire Floyd, tout reprendre. A zéro. Re-éduquer, resensibiliser, re-informer, re-dissuader, re-persuader. Eternel recommencement ! Nécessaire recommencement. Floyd ne sera probablement pas la dernière victime d’actes racistes. Pourvu, toutefois, que son nom soit le dernier du décompte macabre lié à cette ignominie afin que sa disparition tragique serve réellement de leçon et participe à sonner définitivement le glas de telles dérives humaines. Il faut sortir du combat à fleurets mouchetés qui prévaut jusque-là contre ce racisme qui est d’une déconcertante robustesse, pour travailler résolument, incisivement, avec toutes les armes nécessaires, à son éradication totale. Cela passe par une volonté politique universelle, un engagement citoyen sans commune mesure, une démarche préventive participative et éclairée, une sévérité et une rigueur punitives pédagogiques. Comme face au coronavirus, c’est un bras de fer qui nous engage tous. Cependant, notre efficacité tient dans notre acceptation du fait qu’au-delà de l’occident en général, le racisme se développe partout, jusqu’en terre africaine où la négrophobie semble aussi avoir de beaux jours devant elle. L’esclavage d’Africains subsahariens par des Africains maghrébins n’est pas une vue de l’esprit. C’est une pratique réelle et courante sur laquelle on a longtemps gardé le couvercle. La Lybie s’en est récemment montrée un véritable creuset, face visible d’un gigantesque iceberg.
Par ailleurs, la récession mondiale, issue de la crise sanitaire, engendre partout, en abondance, des faillites économiques, du chômage, de la paupérisation et des resserrements budgétaires consécutifs au marasme des finances publiques des Etats. Cela ouvre la voie à l’austérité et au mal-être social, vecteurs de replis identitaires et de regain d’intérêt pour les idéologies politiques extrêmes, ainsi que nous l’avons vécu dans le contexte des crises récentes des subprimes aux Etats-Unis et des dettes souveraines en Europe. C’est dire qu’en rappelant notre unicité, suggérant notre unité, cette pandémie génère insidieusement le piège de la division devant l’impératif de notre cheminement commun. A nous de le déjouer et d’éviter de raviver la flamme des replis identitaires et racistes./.