Le premier essai clinique sur le sol africain pour un vaccin contre le Covid-19 a débuté cette semaine. Environ 2 000 personnes vont participer à cet essai mené en Afrique du Sud. France 24 a pu en discuter avec un médecin qui supervise l’un des sites où le vaccin candidat sera administré à des volontaires.
Une vingtaine de volontaires ont déjà reçu une injection. Ils sont les premiers participants du tout premier essai clinique en Afrique pour un vaccin contre le Covid-19. Annoncé officiellement mardi 23 juin, ce test mené par l’université Wits de Johannesburg en Afrique du Sud pourrait constituer un tournant majeur dans la lutte contre le coronavirus sur un continent où la propagation est toujours en phase d’accélération et où plus de 330 000 personnes ont déjà été contaminées.
Le vaccin utilisé durant cet essai est le ChAdOx1 nCoV-19. Mis au point en avril par l’université d’Oxford, il est considéré comme l’un des plus prometteurs parmi la centaine en cours de développement. En dehors de l’Afrique du Sud, des essais cliniques sur ce vaccin sont menés au Royaume-Uni, au Brésil et un autre est prévu aux États-Unis.
Un essai de phase 2
Ce test ne vise pas encore à évaluer l’efficacité du ChadOx1 nCov-19 contre la maladie. « L’objectif, pour l’instant, est de nous assurer que le vaccin n’est pas dangereux pour les patients [qu’il n’y a pas d’effets secondaires, NDLR] et de mesurer la réponse du système immunitaire », explique Lee Fairlie, médecin pédiatre à l’université de Wits qui supervise l’un des sites de l’essai clinique, contactée par France 24. « C’est ce qu’on appelle un essai de phase 2, durant lequel on cherche à déterminer quelle est la dose d’un vaccin qui produit la meilleure réponse immunitaire », précise Pierre Saliou, spécialiste des vaccins et président du Groupe d’intervention en santé publique et épidémiologie (GISPE), contacté par France 24.
En tout, environ 2 000 Sud-Africains devraient participer à cette étape qui est censée durer environ un an. Mais pour l’instant, « nous avons recruté un premier groupe de 50 volontaires sur notre site qui vont recevoir le vaccin et ensuite il y aura 50 nouveaux arrivants, avant de monter en puissance », précise Lee Fairlie. C’est bien moins qu’au Royaume-Uni où l’essai concerne déjà 4 000 personnes et « devrait fournir les premières informations sur la réponse immunitaire dans les semaines à venir », ajoute la pédiatre sud-africaine.
Les volontaires sélectionnés en Afrique du Sud ont « tous entre 18 et 65 ans et nous nous sommes assurés qu’ils étaient en bonne santé et ne souffraient pas de maladies chroniques nécessitant une attention médicale particulière », énumère Lee Fairlie. Elle reconnaît, cependant, que l’essai pourrait être élargi à des personnes en moins bonne santé, « en fonction de ce que nous allons apprendre sur la sécurité du vaccin après les premiers tests ».
De l’importance d’un essai clinique sur le continent africain
À l’heure où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) insiste sur la nécessité de rendre un futur vaccin contre le Covid-19 accessible à tous, l’essai clinique en Afrique du Sud peut s’avérer crucial. Des tests menés dans un pays ou seulement un continent ne sont pas suffisants pour prouver l’efficacité d’un vaccin car « certaines populations peuvent parfois avoir des réactions immunitaires différentes », remarque Éric D’Ortenzio, médecin épidémiologiste à l’Inserm, contacté par France 24. « Génétiquement parlant, nous avons une population très diversifiée en Afrique du Sud et différente de celle du Royaume-Uni ou du Brésil, c’est pourquoi il est important de mener des tests ici », précise Lee Fairlie. Elle estime que l’essai sud-africain pourra permettre de juger de l’efficacité du vaccin pour tout le continent, « même s’il serait toujours mieux de mener des études supplémentaires dans d’autres pays ».
L’Afrique du Sud présente, en outre, un environnement sanitaire très différent d’un pays européen ou sud-américain, ce qui rend les résultats de cet essai clinique intéressants. « Il y a ici une prévalence de maladies très spécifiques, comme la tuberculose et le virus du VIH. Et il faudra comprendre comment les personnes atteintes réagissent à un vaccin », note Lee Fairlie.
C’est particulièrement vrai pour le sida, « un enjeu important en Afrique du Sud où près de 7,5 millions de personnes ont été infectées par le virus », rappelle la scientifique sud-africaine. Elle espère, d’ailleurs, pouvoir inclure des individus atteints du VIH dans un groupe de volontaires « si nous parvenons à établir qu’il n’y a pas de risque associé à la prise du vaccin pour cette population ». À cet égard, cet essai clinique peut, au-delà de l’Afrique du Sud et du continent, s’avérer riche en enseignements pour le monde entier. L’une des questions centrales de la recherche des traitements contre le Covid-19 concerne en effet la façon dont les personnes au système immunitaire fragilisé à cause de maladies comme le virus du sida pourraient réagir à un futur vaccin.
Les tests en Afrique, une question toujours sensible
L’importance de ce premier essai clinique en Afrique tient aussi à l’histoire très controversée des tests vaccinaux réalisés sur le continent. De grands groupes pharmaceutiques ont été accusés, à l’instar de Pfizer en 1996, d’avoir profité du manque d’information des populations locales pour mener des tests dans des conditions douteuses.
La réaction violente aux déclarations d’un médecin français qui avait appelé, en avril, à tester des vaccins en Afrique montre à quel point ces scandales ont laissé des traces. « Les remarques de ce médecin étaient irréfléchies, et avaient potentiellement des relents racistes », reconnaît Lee Fairlie.
Les experts interrogés par France 24 reconnaissent tous qu’il y a un travail à faire pour redonner confiance aux populations locales dans les essais cliniques de vaccins. « La clé, c’est que les gens soient correctement informés sur les tests et que par des campagnes de sensibilisation, on puisse susciter l’engagement des populations, c’est-à-dire qu’elles aient vraiment envie de participer », souligne Éric D’Ortenzio. Lee Fairlie souhaite que l’essai mené sur le vaccin ChAdOx1 nCoV-19, qui adhère aux règles internationales sur l’obtention d’un consentement éclairé, contribuera à « apaiser les craintes que certains peuvent encore avoir ».
Bien sûr, les scientifiques espèrent que le vaccin d’Oxford remplisse ses promesses. Mais si, a minima, les tests menés en Afrique du Sud permettaient d’effacer les séquelles du passé, ce serait déjà une victoire.
Sébastian SEIBT